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Réenchantement des centres-villes : entretien avec le sociologue Patrice Duchemin

LES IMAGINAIRES AU SECOURS DES CENTRES-VILLES

Un peu partout, les centres-villes souffrent d’une moindre attractivité. Les élus s’en inquiètent. Les habitants s’en désolent. Genève n’y échappe pas. Rues fermées et non aménagées, magasins délaissés, trop peu de cafés aux terrasses accueillantes, aménagements inadaptés… Comment rendre les centres-villes de nouveau attractifs ? La réponse n’est pas seulement politique, elle est surtout sociologique car la désaffection des centres-villes est aussi le signe de nouvelles attentes de la part de ceux qui les fréquentent. L’enjeu n’est donc pas tant de les préserver que de les réinventer. Les centres-villes sont vivants, pourquoi devraient-ils, aujourd’hui, ressembler à ce qu’ils étaient, hier ?

Le pouvoir des imaginaires
Le succès d’un centre-ville ne tient pas seulement à la diversité de son offre commerciale et de ses services. Sa capacité à exprimer une identité propre est déterminante. Cette identité peut être nourrie par son histoire, son climat architectural, sonore ou coloriel, une promesse de qualité de ses lieux et de ses moments, mais cela n’est plus suffisant. Ce sont les imaginaires qui font désormais la différence.
Les imaginaires appartiennent aux habitants, à ceux qui fréquentent régulièrement les villes. Ils reflètent leurs attentes et incarnent la vision de la ville à laquelle ils aspirent. Les saisir et les comprendre est la condition pour donner aux centres-villes une identité qui aille au-delà de leur apparence factuelle. Les imaginaires sont des intentions destinées à finir en transformation. Ils sont les agents du changement.

Quatre imaginaires
Quatre imaginaires colonisent les esprits urbains. Nés des insatisfactions produites par la vie en ville, ils portent la même espérance d’une ville à sa mesure.
Le premier est celui de la fluidité. Il incarne une ville toujours plus disponible en phase avec les nouvelles habitudes de vie et de mobilité. Des horaires d’ouvertures élargis, des bornes de recharge électrique, des emplacements pour les vélos. Avec les nouvelles technologies, les magasins mutent : certains deviennent des lieux pour récupérer des achats faits sur le net, d’autres, des show-rooms pour des marques naissantes. Le centre-ville prend des airs de laboratoire du futur.

Le second imaginaire est celui de la nature réparatrice. Une nature au service du lien. Sa mise en œuvre ne consiste pas à multiplier les arbres et des espaces verts, mais à leur donner un rôle social. Des espaces végétalisés initiés et entretenus par des habitants, enfants ou seniors, pour maintenir la vie et le lien entre les habitants une fois les commerces fermés. Des récoltes symboliques comme de potentielles animations. Des échanges de savoirs autour de jardins partagés. Mais aussi des roof-tops pour susciter des rencontres et de nouveaux regards sur la ville.

L’imaginaire du village diffuse auprès de ceux qui fréquentent le centre-ville un sentiment d’appartenance à un territoire. Multiplier les places et les terrasses avec leurs happy-hours est la condition première pour y parvenir. Mais aussi, imaginer des points de ralliement pour chacun (skateparks, espaces dédiés aux producteurs locaux, lieux de rendez-vous pour les visiteurs… ) et des espaces dédiés aux savoir-faire locaux afin de renforcer ce sentiment.

Le quatrième imaginaire est celui de la ville étonnante très apprécié de ceux qui sont nés avec le monde digital et qui aiment raconter ce qu’ils vivent. L’hybridation est le carburant de l’étonnement en centre-ville. L’inattendu, la condition du souvenir. Ici, une friche urbaine mixant co-working, événements culturels et commerces. Là, un magasin désaffecté transformé en recyclerie ou en lieu solidaire. Et pourquoi pas un podcast pour exprimer le caractère du centre-ville et valoriser les expériences qu’il propose ?

Genève face au défi des imaginaires
Le centre-ville de Genève, comme celui de nombreuses grandes villes, se trouve aujourd’hui face au défi des imaginaires. Comment le rendre plus fluide et plus efficace ? Comment y mettre la nature au service du lien social ? Comment faire naître des esprits de villages parmi ses habitants ? Et comment lui donner cette part d’étonnement qui contribuera à asseoir son identité ? Place à l‘imagination !

Patrice Duchemin
Sociologue de la vie quotidienne
Auteur du Pouvoir des imaginaires (Ed. Arkhé)

Patrice Duchemin est sociologue de la vie quotidienne. Il élabore pour des agences et des annonceurs des stratégies de communication intégrant la compréhension socio-culturelle des individus. Il conçoit aussi des lettres de veille sur les mutations des comportements de consommation, fondées sur le repérage de « micro-faits ». Parmi elles, l’Oeil de l’Observatoire Cetelem, la lettre mensuelle d’observation de BNP-Paribas Personal Finance, accessible au grand public depuis 1995. Il est par ailleurs intervenant à l’ISCOM et auteur de billets d’humeur de décryptage pour différentes agences de communication. Il fait régulièrement des interventions sur les thèmes du futur du commerce, des villes et de la consommation.